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Furtwängler – Bruckner Symphonie n°4 – Welche Fassung? Quelle Version?

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Il est depuis peu possible d’avoir librement accès à un certain nombre de quotidiens autrichiens de l’année 1950. Parmi ceux-ci, l’Oberösterreichische Nachrichten (Linz) présente une rubrique musicale quotidienne consacrée à des études et à des compte-rendus de concert.

Dans le numéro du 26 septembre 1950, on trouve un article du spécialiste d’Anton Bruckner Ludwig K. Mayer1 sobrement intitulé « Um Bruckner Vierte » et donc consacré à sa Quatrième Symphonie. Il donne des informations nouvelles sur le choix très contesté de Furtwängler de ne pas diriger la Version éditée en 1936 par Haas et de s’en tenir à la première édition imprimée en 1889.

La présente étude a seulement un but informatif: faire le point sur les raisons de son choix, sans prendre position sur le fond.

I- Les Versions de la « Quatrième »:

Notons à titre liminaire qu’il est question dans ce texte de deux Versions (« Fassungen »), dénommées d’une part « Originalfassung » (Version Originale) et d’autre part « Erstdruckfassung » (Première Version imprimée).

De nos jours, celle qu’on appelle la Version Originale (ou Version Initiale) a été composée en novembre 1874, et elle n’a été ni exécutée, ni publiée du vivant du compositeur. Elle n’a été publiée qu’en 1975 par Leopold Nowak.

En 1878, Bruckner révise les deux premiers mouvements et compose un nouveau Scherzo, la fameuse « Scène de chasse », ainsi qu’un nouveau Finale dénommé Volksfest.

En 1879/80, il remplace ce Finale par une troisième version. Cette Version, non publiée, est utilisée pour la Première le 20 février 1881 avec le WPO dirigé par Hans Richter.

En 1881, suite à la Première, Bruckner révise une nouvelle fois la partition. Cette Version a été publiée en 1936 par Robert Haas sur la base du manuscrit dans le cadre de la « Gesamtausgabe »( Edition Intégrale »). C’est cette Version qui dans le texte de Ludwig K. Mayer est dénommée « Originalfassung ».

La liste impressionnante des modifications de cette partition continue avec la nouvelle révision de 1886 qui diffère peu de celle de 1881. Cette partition est destinée à Anton Seidl qui la dirigera à New-York le 4 avril 1888. Redécouverte en 1952, elle sera publiée par Anton Nowak en 1953.

On en arrive enfin aux révisions de 1887-1888 qui ont donné lieu à la première publication de l’ œuvre en 1889 par l’éditeur Gutmann (suivie d’une édition corrigée en 1890). C’est cette première Version imprimée qui est dénommée « Erstdruckfassung » (ou encore Version 1888, bien qu’elle ait été publiée en 1889).

Elle incorpore de nombreuses modifications introduites par Bruckner avec l’assistance de Ferdinand Löwe et des frères Franz et Joseph Schalk, en prévision de la publication.

Si effectivement, après l’exécution publique de cette Version modifiée donnée le 20 janvier 1888 par le WPO, encore une fois sous la direction d’Hans Richter, Bruckner a, en février 1888, porté de sa main (et daté) de nombreuses corrections dans la « Stichvorlage » (Version révisée pour l’édition), l’ « Erstdruckfassung » qui en est résulté a fait l’objet de polémiques et Furtwängler a été beaucoup critiqué pour avoir continué à la diriger après la parution en 1936 de l’ « Originalfassung ».

En effet, il se pourrait que les frères Schalk et Ferdinand Löwe aient imposé à Bruckner leur révision, ceci conditionnant la publication, et que ce dernier n’aurait pu qu’apporter des correctifs manuscrits à une Version qui ne correspondrait cependant pas à sa volonté. L’hypothèse selon laquelle Bruckner avait tellement peu confiance en sa technique qu’il était influençable a été introduite sans preuve sérieuse par Robert Haas2 qui n’avait pas connaissance de la « Stichvorlage », laquelle n’a été découverte qu’en 1940. Depuis, les positions ont évolué sans toutefois éteindre la polémique et la Version 1888 a pris sa place grâce à Benjamin Korstvedt dans la Gesamtausgabe en 2004.

Toujours est-il que cette Version a obtenu un imprimatur du compositeur, ce qui n’est pas le cas de celle Version élaborée en 1895 par Gustav Mahler (réorchestration de la Version 1888 et nombreuses coupures), mais elle lui a permis de jouer l’œuvre avec succès là où il avait du mal à l’imposer, notamment à New-York en 1910 (voir les articles de presse dans l’annexe pages 4 à 7) où l’exécution donnée le 30 mars dépassait à peine les 45 minutes (The Press March 31, 1910).

II- L’article de Ludwig K. Mayer:

Le débat sur l’authenticité ou plutôt la légitimité de l’ « Erstdruckfassung » est au cœur de cet article. Il incite à analyser l’évolution de la position de Furtwängler depuis la publication de la Version Hass (« Originalfassung ») en 1936.

Mayer commence par rappeler que le problème complexe de la validité des différentes versions autographes de ses symphonies s’est posé dès le début de l’édition de cette « Gesamtausgabe », en particulier pour les Quatrième et Cinquième Symphonies.

Il souligne ensuite un fait qui est passé presque inaperçu: en 1943 Wilhelm Furtwängler a abandonné l « Originalfassung » de la Quatrième au profit de l’ « Erstdruckfassung » et n’a cessé depuis de la diriger. La raison en était que, comme le chef lui avait dit de vive voix, la connaissance de documents l’avaient convaincu de l’authenticité et de la pertinence ultime de cette Version. Mais les circonstances de la guerre n’ont pas permis à l’auteur de l’article d’en savoir plus et il n’a pas eu de contact avec Furtwängler avant de rédiger son article.

Cependant, grâce aux travaux d’Alfred Orel qui venaient d’être publiés, Mayer pense être en mesure de préciser ce qui aurait pu convaincre Furtwängler: en 1940, la « Stichvorlage » pour l' »Erstdruckfassung » de la Quatrième Symphonie a été trouvée dans les papiers de Ferdinand Löwe, et serait la preuve de la validité de l’ « Erstdruckfassung »:

« Il s’agit d’une copie préparée par Ferdinand Löwe, qui a été soigneusement relue par Bruckner qui a apporté de nombreuses corrections manuscrites. Cette découverte est complétée par des lettres de Bruckner dans lesquelles il indique avoir à son instigation personnelle (« aus eigenem Antrieb ») considérablement modifié (« gewaltig geändert ») la « Quatrième ».

Alfred Orel (cité par Mayer) a commenté sa découverte de la manière suivante: «  La Stichvorlage (ou Version révisée pour l’édition) méticuleusement préparée par Bruckner est à ce jour la source connue la plus crédible pour la Quatrième. Elle représente dans l’état actuel des recherches l’ultime volonté clairement exprimée par Bruckner pour la structure du texte de la Quatrième Symphonie », elle est la dernière version de sa main (« Fassung letzter Hand »), et constitue également pour le futur la volonté ultime de Bruckner ».

Et Orel conclut: « Il est de toutes façons clair que ces nouvelles découvertes issues d’une démarche scientifique – et nous insistons: d’une démarche scientifique – ne remettent pas en cause les modifications de la partition de la main de Bruckner pour la « Gesamtausgabe » ; au contraire, plus nous en savons au sujet de Bruckner, plus on se rapproche de lui ».

Mayer termine son article en signalant une erreur dans le texte d’Orel qui écrit qu’en utilisant l’ « Erstdruckfassung » lors de son concert viennois du 21 décembre 1948, Furtwängler a contribué à rétablir la volonté expresse de Bruckner. Mayer rappelle que Furtwängler avait accompli ce changement dès 1943.

III– La réponse du Pr. Max Auer3:

L’édition du 30 septembre 1950 apporte cette réponse qui contredit la thèse de Mayer. Auer rappelle tout d’abord que depuis 1887, quand Hermann Levi a rejeté la Huitième comme étant « injouable », Bruckner subissait la pression de ses élèves Joseph Schalk et Ferdinand Löwe qui le poussaient non seulement à revoir complètement sa Huitième déjà achevée, mais aussi à alléger l’orchestration de ses œuvres antérieures et à les raccourcir, et la Quatrième en a été également victime.

Ensuite, Auer met en avant les points suivants:

1) La lettre mentionnée par Mayer concernerait en fait la toute première Version intitulée « Vierte Symphonie, Es Dur » qui n’a jamais été exécutée en entier et qui ne comportait pas encore l’intitulé « Romantique ».

2) Bruckner s’est exprimé dans son Testament de 1893 dans lequel il exige expressément la publication de toutes ses partitions originales sans exception qui sont conservées à la Wiener Hofbibliotek.

3) Si Bruckner, dans une lettre à Weingartner, lui écrivait, concernant la Huitième, qu’il pouvait la raccourcir car étant trop longue, par contre, dans la Version imprimée, les coupures devraient être mentionnées, car l’ensemble était pour les « temps futurs » et pour les « amateurs et les connaisseurs », nous estimons maintenant que ces temps futurs sont venus et que Bruckner doive sonner selon les originaux. Ceci vaut également pour la « Quatrième » qui doit être révisée.

IV- La réponse de Ludwig K. Mayer:

Si Mayer ne dit rien en ce qui concerne la lettre à Weingartner, par contre il répond clairement en ce qui concerne la lettre que lui-même avait mentionnée ainsi que le testament de Bruckner:

1) Il s’agit d’une lettre à Hermann Levi en date du 27 février 18884 dans laquelle il est question de l’exécution de l’œuvre à Vienne un mois plus tôt sous la direction d’Hans Richter, et la partition était déjà pour l’essentiel celle de l’ « Erstdruckfassung ». Suite à cette exécution viennoise, Bruckner a introduit de sa main dans la « Stichvorlage » de nouvelles modifications de la partition en vue de son édition.

2) La phrase citée du testament remonte à une époque où toutes les œuvres n’avaient pas encore été publiées: « En même temps, je précise que la firme Jos. Eberle und Cie. devrait être autorisée à emprunter pour une durée limitée à la Hofbibliotek les manuscrits des œuvres à éditer, et que cette dernière soit obligée de prêter à M. Jos. Eberle les manuscrits originaux pour une durée correspondante ». Cette phrase ne peut en aucune façon avoir le sens qu’Auer lui donne. Si Bruckner avait voulu annuler les premières éditions (« Erstdrucke »), il en aurait vraisemblablement fait état de manière plus précise dans ses dernières volontés.

V- Conclusion de Ludwig K. Mayer:

Dans le cas de la Quatrième, il y a un document incontestable qui permet de comprendre comment Furtwängler en est arrivé à sa décision.

VI- Le point de vue de Furtwängler:

1- Dans sa conférence de 1939 donnée à Vienne dans le cadre de la « Deutsche Bruckner Gesellschaft », Furtwängler s’est exprimé sur la problématique des éditions originales (« Urfassung ») et des versions successives de ses symphonies:

Des musiciens sérieux et objectifs comme Schalk et Löwe, qui connaissaient, aimaient et respectaient Bruckner, considéraient à l’époque comme impossible de présenter au public ses œuvres dans leur forme originale, et désespéraient de pouvoir les rendre directement compréhensibles5. Ils cherchèrent donc à jeter des ponts, à servir d’intermédiaires. Et ces ponts, ces intermédiaires, donneront les révisions. Quelle était la position personnelle du maître? Dans quelle mesure prenait-il part à ces éditions révisées? Ou bien se contentait-il de se laisser faire ? Ou même, protestait-il ? Cela pourrait bien ne jamais être tranché.

On ne peut à ce jour connaître la signification pour l’avenir des Versions Originales actuellement en cours de publication. Certes, le combat et la victoire véritables de la musique de Bruckner ont eu lieu grâce aux versions précédemment connues. Pour notre connaissance du langage musical, du style et de la sensibilité brucknériens, les Versions Originales sont cependant très significatives et riches d’enseignement; les différences se trouvent dans l’instrumentation aussi bien que dans la conduite du tempo ; pour ces deux paramètres, il y a plus de simplicité, d’unité et de linéarité dans les versions originales ce qui semble davantage correspondre aux larges horizons de la sensibilité musicale du maître. En ce qui concerne les nombreuses coupures qui ont été rétablies dans les Versions Originales publiées, on a en général l’impression d’une cohérence organique plus importante, et cela, non seulement dans les détails, pour ainsi dire à chaque mesure, mais avant tout, en considération de l‘ensemble correspondant.

Justement, là où les coupures étaient les plus brutales- le finale de la Cinquième Symphonie, avait autrefois cent vingt-deux mesures de moins que maintenant – la puissance, la clarté et l’efficacité supérieures du texte original sont indiscutables. De la sorte, ce finale, le plus monumental de la musique mondiale, nous est donc tout simplement restitué. Quelle chose étonnante pourtant que l’existence de ces différentes Versions! Chez quel autre musicien trouvons nous un tel remaniement perpétuel de la même œuvre? Nous savons de Beethoven qu’il travaillait lentement et laborieusement. Mais quand le processus de création était achevé, l’œuvre était terminée. N’a-t-on pas, au contraire, l’impression directe chez Bruckner, que pour lui, intérieurement, une œuvre n’était jamais entièrement terminée! Comme si c’était l’essence même de cette musique expansive et sans limites, dans son aspiration à se dépasser, de n’être jamais totalement achevée, jamais définitive.

Plus loin dans son texte, Furtwängler fait litière du concept d’un Bruckner présenté comme un « musicien naïf à la foi enfantine immuable » qui résulte selon lui d’anecdotes plus que tendancieuses, et en attribue la propagation à « une attitude jalouse de la médiocrité bourgeoise envers les grands ». Il rejette comme « ayant poussé sur le même arbre » les concepts comme « le mauvais caractère de Wagner », l »amertume maladive » de Beethoven », « l’esprit prudhommesque de Brahms » et enfin la « médiocrité intellectuelle » de Bruckner.

2- En 1941, Furtwängler, dans une de ses notes non destinées à la publication, écrivait avec une grande liberté de ton (cf. notamment le qualificatif attribué à la théorie de Haas sur les versions des élèves de Bruckner Löwe et Schalk):

 » On a est trouvé» – on dirait – une Version pour l’impression. D’après Haas, cela ne change rien, le fait reste le même: »viol » (Vergewaltigung) de Bruckner par ses élèves (« Schüler »). Ceci est extensible. On devrait plutôt parler d’un « viol » du public par le mythe de Haas. C’est un fait que la célébrité de Bruckner n’est pas fondée sur l’édition complète mais sur les éditions antérieures. On peut même se poser la question si Bruckner, avec l’Edition Complète, serait devenu célèbre aussi rapidement. Ce qui m’importe n’est pas la fidélité aux notes dans le sens des «pharisiens et scribes» mais le Bruckner authentique. Et je ne peux pas considérer seulement l’Edition Originale comme authentique quand il existe une Version postérieure révisée pour l’édition (Stichvorlage)! Pour cela la théorie de Haas sur le « viol » serait nécessaire, et elle n’est pas authentique. Elle est même en contradiction avec la psychologie d’un Grand Homme. Seul un esprit non-productif peut croire qu’un grand créateur pourrait, mis sous pression, se laisser manipuler…….. La falsification du caractère de Bruckner – Bruckner considéré comme un idiot – induite par cette thèse est bien plus grave que celle commise par les tentatives de ses premiers élèves Löwe et Schalk.

A ce propos, il faut dire: les Versions Originales diffèrent. Des manuscrits originaux existent seulement pour la 4ème et la 5ème symphonie . Ils n’existent pas pour les 2ème, 3ème et 7ème.. Ceux de la 2ème et de la 3ème ont été reconstruits par Haas, de manière aléatoire.

Des Versions Originales construites de cette manière n’ont pas de valeur.

Pour la 5ème, le cas est différent. Ici la Version Originale, en comparaison, est préférable.

Bien que semblable, le cas de la 4ème est différent. »

N.B. Furtwängler exprime ici dès 1941 des doutes quant à la rigueur musicologique de certaines des Versions de Haas. D’ailleurs, quand il se confirmera au début des années 50 que la Version Haas de la « Huitième » posait des problèmes, il reviendra à la Version Haslinger-Schlesinger-Lienau de 1892 lors de ses concerts viennois de 1954.

3- Dans une lettre à Paul Baur en date du 21 août 1948, Furtwängler explique pourquoi il ne veut pas enregistrer de symphonie de Bruckner pour le disque: « Avec Bruckner, si le caractère libre et improvisé de l’exécution n’est plus là, alors le meilleur est perdu ».

VII- Furtwängler et les exécutions de la Quatrième de Bruckner:

Furtwängler a dirigé cette œuvre entre 1914 et 1951 (66 exécutions). C’est la symphonie de Bruckner qu’il a le plus dirigé, plus que la Huitième.

Karl Grunsky a relevé les minutages de la Quatrième lors du concert donné à Stuttgart  le 17 mai 1924 avec le BPO:

I: 19′; II: 21’30; III: 7’30; IV: 17′ soit en tout 65′, et il remarque: coupures (« mit Kurz. ») dans III et IV.

(pour comparer, Stuttgart WPO 22 octobre 1951: I: 17’45; II: 18’15; III:10’30; IV:19’30)

Il s’agit de coupures introduites par Furtwängler et auxquelles il renoncera ensuite.

On notera que le 9 avril 1930, Franz Schalk dirige sa Version de l’œuvre (« Erstdruckfassung » également dénommée Version 1888) avec le WPO au Konzerthaus de Vienne et ensuite, Furtwängler part le même mois en tournée avec l’orchestre et dirige 4 fois cette version (Munich le 23, Stuttgart le 24, Cologne le 25 et enfin Londres le 29). Il la dirigera ensuite à Berlin avec le BPO les 24, 27 et 28 novembre 1932.

Jusqu’en 1932, c’est forcément la Version 1888, la seule disponible, que Furtwängler dirige.

En 1936, parait l’édition Robert Haas, l’ « Originalfassung ». Pourtant, il n’en profite pas pour inscrire l’ œuvre au programme de ses concerts.

Il faudra attendre 1941 pour qu’il la donne de nouveau (22 exécutions jusqu’en 1951):

– Berlin BPO 14, 15, 16 et 17 décembre 1941 (avec un enregistrement incomplet du concert du 146)

– Vienne WPO 3 et 4 janvier 1942

– Winterthur (Winterthur Stadtorchester) 16 janvier 1943

– Berne (Berner Stadtorchester) 26 janvier 1943

– Buenos-Aires (Orch. Teatro Colon) 17 avril 1948

– Lucerne (Festspielorchester) 18 août 1948

– Vienne WSO 21 et 22 décembre 1948

-Tournée en Allemagne avec le WPO: 7 exécutions entre le 14 et 1e 29 octobre 1951, dont deux enregistrées (Stuttgart le 22; Munich le 29)

-Berlin (BPO) 30 novembre, 2 et 3 décembre 1951

VIII- Furtwängler de 1941 à 1951: quelle(s) Version(s) pour la Quatrième?

Nous disposons de deux sources laissant entendre que Furtwängler aurait abandonné la Version Haas au profit de la Version 1888. Auer place la date de ce changement en 1948, alors que Mayer le date de 1943, et son affirmation semble solide, puisqu’il s’en est entretenu de vive voix avec Furtwängler.

Pour les concerts de décembre 1941 avec le BPO, on connaît un enregistrement réalisé sur disques « Decelith ». Comme il a été effectué avec un seul graveur, il y a une interruption de quelques dizaines de secondes toutes les 4’30 environ. Cet enregistrement a été édité6. Il est conforme à la Version 18887, et il n’y a plus de coupures.

Pour les concerts viennois de janvier 1942, le site de l’orchestre mentionne explicitement la Version 1888.

De par l’article de Mayer, il est certain que Furtwängler était convaincu au moins à partir de 1943 que la Version 1888 représentait la volonté ultime de Bruckner.

Par ailleurs, Orel date de 1940 la découverte des documents (la « Stichvorlage » et la lettre de 1888 à Hermann Levi) dans les papiers de F. Löwe. Furtwängler, qui n’avait pas dirigé l’œuvre depuis 1932, et qui dans sa conférence de 1939 déplorait que peut-être on ne saurait jamais ce que Bruckner pensait des partitions modifiées par F. Löwe et les frères Schalk, a eu très vite connaissance de l’existence de la « Stichvorlage » et on peut dire qu’il a alors définitivement décidé de ne pas adopter la Version Haas et de continuer à diriger la Version 1888 lors des concerts de 1941 et 1942.

En effet, dans ses notes qui datent justement de 1941, Furtwängler écrit explicitement qu’il « ne peut considérer une édition originale comme authentique, s’il existe une « Stichvorlage » postérieure », et il s’emporte même parce que Haas, en dépit de la découverte de la « Stichvorlage » révisée de la main de Bruckner maintienne sa position quant à Löwe et Schalk. Il semble que lorsqu’il a rédigé sa note, il n’avait pas encore pu consulter la « Stichvorlage », alors qu’il est probable qu’il y avait eu accès quand, en 1943, il en a parlé à Mayer.

On ne sait pas quelle aurait été sa réaction s’il avait connu la teneur de la lettre de Bruckner à Weingartner citée par Auer.

Il est pourtant probable que, bien qu’il soit parti pour une tournée d’un mois en Europe avec le WPO (25 septembre – 22 octobre), il ait eu connaissance de ces deux articles, et donc de la lettre à Weingartner.

Tel est semble-t-il le point des connaissances à l’époque. Une consultation des archives Furtwängler à la Zentralbibliothek de Zürich permettrait peut-être d’en savoir plus, notamment sur la date précise à laquelle Furtwängler a pris connaissance de ces documents.

Kurt-Victor Selge8 a analysé les adaptations que Furtwängler apportait dans ses concerts à la partition de la Version 1888. Il s’agit essentiellement de modifications quant aux indications de changement de tempo qu’il ne suit que partiellement, mais qu’il complète, afin de conférer un caractère plus linéaire et chantant au discours musical.

Il nous donne également des indications précieuses quant à la motivation de Furtwängler:

Bien qu’il se servît après 1938, pour les symphonies V à IX, des « Editions Originales » fraîchement révisées par Robert Haas, il n’a pas été convaincu par les modifications dans la IVème. Pourquoi ?

Lors des discussions avec des étudiants du Conservatoire National de Musique de Munich en 1951, Furtwängler s’est exprimé à ce sujet. Il en ressort qu’il considérait Bruckner plutôt comme compositeur « mystique » que comme un artiste qui cherche avec une objectivité maximale l’expression d’un « ordre cosmique » (comme, plus tard, le faisait Günther Wand). Les enregistrements de Furtwängler de la Vème et surtout de la VIIIème symphonie témoignent d’une prise de possession énergique de l’œuvre, avec des accélérations et des ralentissements et une expressivité émotionnelle qui dépasse la simple reproduction du texte, gommant ainsi les « faiblesses » de la composition que Furtwängler y voyait. Les enregistrements conservés de la VIIème et de la IXème (mais également les 3 mouvements conservés de la VIème de 1943), montrent la même intensité de l’interprétation, mais suivent davantage les indications des tempi dans le texte. Dans la IVème, c‘est déjà par le choix de l’édition qu’il choisit que nous nous rendons compte que Furtwängler, tout en se basant sur la partition, cherche à s’en libérer en créant un univers sonore qui dépasse et transcende le texte écrit. »

IX – Conclusion:

Il résulte de ce qui précède que la Version 1888 est la seule que Furtwängler ait jamais dirigée.

L’article de Mayer nous informe que Furtwängler lui avait dit de vive voix que la connaissance de documents l’avaient convaincu de l’authenticité et de la pertinence ultime de cette Version.

Mayer est d’avis que sa décision a tenu compte des documents récemment découverts, ces documents établissant qu’il s’agissait de la part de Bruckner de sa dernière conception de l’œuvre:

– la « Stichvorlage », à savoir la version révisée pour l’édition, que Bruckner a pris la peine, après la Première de cette Version encore à l’état de projet, de corriger de sa main. Si effectivement, des corrections ont pu être apportées à certaines de ses œuvres sans son consentement, ce n’est pas le cas pour la « Quatrième ». On notera que la « Quatrième » est la seule pour laquelle il existe une « Stichvorlage ».

– et la lettre à Hermann Levi en date du 27 février 1888, dans laquelle il indique avoir à son instigation personnelle (« aus eigenem Antrieb ») considérablement modifié (« gewaltig geändert ») la Quatrième ».

Furtwängler ne pouvait pas avoir eu connaissance de ces documents en 1939 quand il a donné sa conférence sur Bruckner, car ils n’ont été découverts qu’en 1940.

La prise de position de Mayer est confirmée par la note de Furtwängler datée de 1941 (qui est toutefois antérieure à la date, 1943, donnée par Mayer). En effet:

a) Les deux textes de Furtwängler (conférence de 1939 et notes de 1941) montrent qu’il était en complète opposition avec la théorie de Robert Haas selon laquelle Bruckner se serait laissé manipuler par ses élèves Schalk et Löwe.

b) La note de 1941 montre dans sa partie conclusive que Furtwängler avait des doutes quant à la rigueur musicologique de Haas. Il s’emporte même contre Haas qui maintient sa position et s’en tient donc à l’ « Originalfassung » publiée en 1936.

c) Dans ce contexte, elle indique sans ambiguïté, et sans même qu’il y ait besoin de prendre en compte la lettre à H. Levi, que la « Stichvorlage » corrigée de la main du compositeur suffisait à le convaincre, lui qui considérait l’œuvre de Bruckner comme étant par essence « jamais totalement achevée, jamais définitive », de continuer à diriger la Quatrième dans la Version 1888, car elle représentait le point ultime de sa conception. 

Les différences entre la Version 1888 et l’ « Originalfassung » concernent essentiellement l’orchestration et les changements de tempo.

Si Furtwängler a choisi la Version de 1888, il a aussi, comme dans les symphonies V et VIII, pris des libertés importantes avec le texte écrit, surtout en matière de changements de tempo et, comme souligné par K-V Selge, pour rechercher plus de linéarité dans la conduite du discours musical, ce qui, selon le concept exprimé par Furtwängler dans sa conférence sur Bruckner, la rapprocherait de l’esprit des Versions Originales.

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1 Le musicologue allemand Ludwig Karl Mayer (1896-1963) a enregistré pour Polydor en 1943 avec l’orchestre du Städtische Oper de Berlin l’Ouverture en sol mineur (WAB 98) et 4 Pièces pour orchestre (WAB 96 et 97) de Bruckner. Il a publié une histoire de la musique ainsi qu’une histoire de la musique du XXème siècle.

2 Furtwängler, (voir plus loin dans le texte) s’est on ne peut plus clairement, voire violemment, opposé à ce concept qui a été largement utilisé pour décrédibiliser les Versions ultérieures de ses symphonies. La position de Robert Haas, qui était nazi, était fortement imprégnée d’idéologie.

3 Le musicologue autrichien Max Auer (1880-1962) a été un des co-fondateurs et le premier Président de l’ « Internationale Bruckner-Gesellschaft ». Il est considéré comme un des principaux biographes de Bruckner, dont il possédait une collection de manuscrits qu’il a légués à l’ « Österreichische Nationalbibliotek ». Sans surprise, il expose la position officielle de la Bruckner-Gesellschaft, qui est celle de Robert Haas. La polémique n’est pas près de s’éteindre…

4 On sait depuis qu’à cette lettre était jointe la « Stichvorlage » pour un concert que Levi devait donner à Munich le 14 avril, et Bruckner a même demandé à Levi de préparer à ses frais des parties d’orchestre.

5 Hermann Levi, Gustav Mahler et Felix Weingartner ont rencontré les mêmes problèmes. Quant à Hans Richter, il a participé activement à l’évolution de la Quatrième.

6 CD:The Wilhelm Furtwängler Center of Japan WFHC-018/20

Téléchargement:  https://www.abruckner.com/store/downloads/BSVD0113

7 Cette vérification a été effectuée d’une part par Kurt-Victor Selge (Wilhelm Furtwängler Gesellschaft e.V. Berlin) et d’autre part le Pr. Dr. Daisuke Hirose pour « The Wilhelm Furtwängler Center of Japan ».

8Texte du livret de l’album WFHC-018/20

Bibliographie:

– Elisabeth Furtwängler et Günther Birkner Aufzeichnungen 1924-1954 (F. A. Brockhaus Wiesbaden)

– Wilhelm Furtwängler « Ton und Wort » (F. A. Brockhaus Wiesbaden) ; Musique et Verbe (Albin Michel – Collection Pluriel)

– Franz Thiess Wilhelm Furtwängler « Briefe » (F. A. Brockhaus Wiesbaden)

-Stéphane Topakian Liste des exécutions d’œuvres de Bruckner par Wilhelm Furtwängler (Société Wilhelm Furtwängler – 2017)

                                                                                           Philippe JACQUARD

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Remerciements pour leur aide précieuse à Constanze Dedieu et Georges Zeisel; ainsi qu’à Masayuki Nakamura et au Pr. Dr. Daisuke Hirose « The Wilhelm Furtwängler Center of Japan ».

En annexe: un fichier à télécharger comportant dans la langue originale les deux articles de Ludwig K. Mayer, les textes de W. Furtwängler et K-V Selge, ainsi que quatre critiques parues en 1910 dans la presse new-yorkaise après l’exécution de la Quatrième sous la direction de G. Mahler.

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