Furtwängler – Beethoven Symphonie n°9 Op125 Bayreuther Festspiele Bayerischer Rundfunk 29 Juli 1951 – BIS Edition SACD & Téléchargement
Beethoven Symphonie n°9 Op125 Das Festspielorchester – Das Festspielchor Bayreuth
Elisabeth Schwarzkopf, Elisabeth Höngen,Hans Hopf, Otto Edelmann
Dir: Wilhelm Furtwängler
La firme suédoise BIS vient d’éditer en SACD hybride (BIS-9060) et également sous forme de téléchargement HD (24 bits/96 KHz) la captation par la Radio Suédoise de la retransmission en direct de ce concert par la Radiodiffusion Bavaroise (Bayerischer Rundfunk), qui de manière inattendue a été conservée dans ses Archives.
On sait que l’édition discographique par EMI résulte d’un montage provenant, selon Henning Smidth, en grande partie des répétitions et pour partie seulement du concert du 29 juillet. Il devrait s’agir des répétitions du matin et de l’après-midi du concert, car le 27, jour d’arrivée de Furtwängler à Bayreuth et le 28, les premières répétitions ont eu lieu dans une autre salle (voir la photo ci-dessus) à l’acoustique différente et, selon Klaus Lang, avec une disposition de l’orchestre un peu différente de celle du concert pour lequel une disposition classique a été adoptée.
Pour ce premier Festival d’après-guerre, l’orchestre comprenait, en son plein effectif qui n’est certes pas déployé ici, 150 musiciens provenant de 40 orchestres différents de l’Allemagne de l’Ouest (BRD), y compris Berlin, et de l’Allemagne de l’Est (DDR). Pour la Neuvième Symphonie, le chœur comprenait 150 choristes, issus des Opéras allemands, et il était renforcé par 110 choristes originaires de Bayreuth. L’ensemble des musiciens était disposé sur le plateau et sur la fosse d’orchestre, recouverte pour l’occasion. On imagine quel tour de force cela représentait du point de vue de la direction d’orchestre que de monter en si peu de temps une telle exécution avec autant de musiciens provenant de lieux aussi divers jouant pour la première fois ensemble.
I- Les échanges entre Wilhelm Furtwängler et Wieland Wagner:
Wieland Wagner a pu seulement obtenir de Furtwängler qu’il dirige à Bayreuth cette Neuvième Symphonie. Il a de plus refusé d’en diriger une deuxième exécution le 20 août.
Concernant les solistes, Wieland Wagner n’a pas réussi à le convaincre (lettres des 5 février et 24 mars 1951), Anton Dermota souhaité par Furtwängler n’étant pas envisageable, de choisir Wolfgang Windgassen et George London qu’il trouvait meilleurs, à la place de Hans Hopf (qu’il qualifie de « Naturbursche ») et Otto Edelmann qui devaient de plus répéter et chanter juste après dans les Meistersinger. Pour la Neuvième, leur heure viendra plus tard, en 1954 avec Furtwängler pour Windgassen, et en 1963 avec Karl Böhm pour London.
II- La retransmission en direct par la Radiodiffusion Bavaroise:
Le concert a été retransmis en Allemagne par la Bayerischer Rundfunk (Munich) et par la SDR (Stuttgart); en Autriche par la RAVAG (Radio Wien Sender II), le Sendergruppe Alpenland (émetteur de la zone d’occupation britannique) et le Sendergruppe West (émetteur de la zone d’occupation française); en France par la RTF (Chaîne Nationale); et en Suède par la Sveriges Radio (Stockholm, Hörby).
La haute qualité technique de cette transmission est probablement due au fait que la Radio Bavaroise disposait depuis le 18 août 1950 d’un émetteur en Modulation de Fréquence (FM ou UKW). La raison en était qu’après la guerre, les forces d’occupation alliées ont réquisitionné un certain nombre de fréquences en Modulation d’Amplitude (AM), et dès lors, la seule solution trouvée par les radios allemandes pour compenser cette pénurie de fréquences a été la FM, d’où une paradoxale avance technique. En effet, dans les autres pays, ce n’est que vers 1954-1955 que cette technique s’est imposée. On remarquera cependant que dans certains pays, dont la Suisse, une technique permettant une réception de meilleure qualité que la AM était la télédiffusion. Elle permettait aux abonnés de recevoir la modulation par câble sur leur ligne téléphonique.
III- La réception et la fixation par la Radio Suédoise (Sveriges Radio):
Pour voyager de Bayreuth à Stockholm, la modulation a dû (via Munich) cheminer par des câbles sur une très longue distance, en passant à travers un grand nombre de relais pour ré-amplifier le signal qui s’atténue en fonction de la distance.
La Radio Suédoise disposait depuis longtemps déjà de Magnétophones AEG K4 (R22), mais pour conserver les enregistrements, elle se servait de disques 33t. à gravure directe, une technique américaine qu’elle utilisait déjà pendant la guerre pour échanger avec les Radios américaines. Le concert que Furtwängler a donné à Stockholm le 25 septembre 1950 avec le WPO a encore été conservé avec cette technique.
A la Radio Suédoise pendant la guerre: de gauche à droite: Henrik Hahr et l’ingénieur du son Hans Sjöström
La Radio Suédoise était également équipée d’enregistreurs à bandes métalliques dénommés Blattnerphone ou Marconi-Stille, et selon les informations connues, les disques à gravure directe des concerts donnés par Furtwängler à Stockholm en 1942-43 avaient été réalisés à partir de telles bandes. Cependant, l’analyse des caractéristiques techniques de ce matériel tant du point de vue de la dynamique que de la bande passante en font douter.
En 1951, la Radio Suédoise a commencé à utiliser les magnétophones modernes pour conserver des enregistrements et c’est à cette évolution que l’on devrait cet étonnant document. Qu’en est-il vraiment?
IV- La publication par BIS en SACD et téléchargement HD:
L’ enregistrement publié par BIS comporte la totalité de l’émission y compris les annonces radio et les applaudissements:
Le site HighResAudio permet de consulter le livret en ligne.
Le livret du SACD BIS porte la mention: Original format: analogue mono tape, digitized by Swedish Radio in 24-bit / 96 kHz, mais il ne donne aucune précision. Notons que BIS a eu l’excellent idée de proposer le document tel quel sans aucun traitement, ni filtrage d’aucune sorte.
Cependant, si on entend bien des bruits électroniques caractéristiques d’une transmission longue distance par câble, on entend également des bruits de surface caractéristiques d’une gravure sur un support mécanique. Par conséquent, la bande numérisée par BIS est très probablement une retranscription à partir du support d’origine (disques ou bande Philips-Miller) qui s’avère de toutes façons incomparablement supérieur à celui qui a servi à fixer le concert du 25 septembre 1950*.
La qualité technique du document proposé par BIS est surprenante, que ce soit du point de vue de la définition, notamment l’ambiance de salle, de la dynamique (très importante) que de la bande passante. Une comparaison montre ce document comme étant presque aussi bon que la meilleure publication de la bande de la Bayerischer Rundfunk, à savoir le superbe (et également dépourvu de traitement) SACD WFHC-030 du Wilhelm Furtwängler Center of Japan, et les bruits de fond provenant tant de la transmission que du support s’avèrent étonnamment faibles. Les défauts analogiques introduits par la transmission longue distance préservent l’intégrité de la musicalité du son (il suffit d’écouter la finesse de définition de l’énoncé pianissimo du thème à 3’05 dans le Finale), alors qu’un traitement numérique de réduction de bruit de fond, même modéré, s’il avait été utilisé, aurait détérioré audiblement la musicalité du son. De la part de BIS, une magistrale leçon de musique et de psycho-acoustique!
* On note cependant dans le Finale une nette dégradation de la qualité du son à partir de l’entrée du ténor.
A la fin du concert, Furtwängler sert la main du Dr. Franz Strauss, le fils de Richard Strauss
10 réponses sur « Furtwängler – Beethoven Symphonie n°9 Op125 Bayreuther Festspiele Bayerischer Rundfunk 29 Juli 1951 – BIS Edition SACD & Téléchargement »
Un article passionnant ! An eye opener, comme on dit outre Manche. Avez-vous note pourtant que l’info a highresaudio.com mentionne que le CD est digitally remastered au lieu de dire digitally mastered ? Cela implique qu’on n’a pas offert la bande telle quelle
Cette mention se trouve en effet sur le site HighResAudio, mais elle ne figure pas sur le livret original de BIS, qui mentionne seulement une Post-production. Il faut bien en effet créer des plages et enlever des parties inutiles au début et à la fin:
Merci pour toutes ces précisions. Il est en effet très étonnant que Wilhelm Furtwängler, artiste exigeant, ait préféré Hans Hopf à Wolfgang Windgassen, mais c’est surtout le choix d’Otto Edelmann plutôt que George London qui est incompréhensible. Tant par la qualité du timbre que par la justesse du chant, London a toujours été incomparablement supérieur à Edelmann. Furtwängler eut été bien inspiré de suivre les conseils avisés de Wieland Wagner.
Il ne faut pas oublier que Knappertsbusch traitait Windgassen de « Krawattltenor » peu avant le debut de ce meme festival en 1951, mais on peut se poser la question si Furtwaengler avait besoin d’un tenor heroique ou lyrique comme Dermota. Quant a London, l’enregistrement de Parsifal de 1951 le montre en voix excellente, mais il serait interessant de lire les notes d’agenda de Sigurd Bjoerling qui y etait et mentionnait que London etait une catastrophe lors des repetitions. Il faisait des erreurs, oubliait le texte etc. On pourrait se demander si c’etait un cas de jalousie. Wieland Wagner preferait les voix latines, Furtwaengler plutot les voix nordiques, je suppose.
« Kna » était coutumier de ce genre de qualificatifs – et concernant Windgassen, il a vite changé d’avis – alors que ce n’était pas du tout le style des échanges épistolaires entre WF et Wieland Wagner.
En 1951, le choix des ténors était dicté par la présence des interprètes sur place pour les représentations. Dans un premier temps (février 1951), W. Wagner avait laissé à Furtwängler le choix entre Bernd Aldenhoff (qu’il avait entendu chanter l’oeuvre avec Keilberth et qu’il recommandait), Hans Hopf, Wolfgang Windgassen et Günther Treptow. Pour le Festival de 1953, pour lequel il voulait de nouveau solliciter Furtwängler, il a pris soin d’engager spécialement Anton Dermota, mais Furtwängler n’ayant pas accepté de venir, il le chantera sous la baguette d’Hindemith.
Bjoerling chantait Wotan dans le Ring et London, Amfortas dans Parsifal. Comment se seraient-ils croisés aux répétitions? London est revenu à Bayreuth jusqu’en 1963 et s’il n’a pu y chanter Wotan ensuite, c’est suite à ses problèmes de cordes vocales. Bjoerling n’y a chanté qu’en 1951.
Les rapports entre George London et Wilhelm Furtwängler ont été de courte durée. London était distribué dans le rôle du Comte des Nozze di Figaro au Festival de Salzburg 1952. Au cours de la répétition du 21 juillet, celle au cours de laquelle Furtwängler est subitement tombé malade, il a demandé: « Herr Doktor, pouvons-nous chanter cela plus vite? » (« Herr Doktor, können wir das schneller singen? ») et depuis, très gêné, il a refusé de s’adresser à la presse.
Est-ce que vous connaissez quand Kna a change d’avis concernant Windgassen ? Je ne sais pas quand Bjoerling a pu assister les repetitions de London. J’ai eu l’info par une amie suedoise qui possede les notes d’agenda de Bjoerling et espere pouvoir les traduire un jour.
Dans le mois qui a précédé l’ouverture de Festival, il y a eu un nombre considérable de répétitions, et il serait intéressant de placer dans le contexte le ou les répétitions dont S. Bjoerling a fait état.
Le livre de Berndt Wessling sur Windgassen (1968) permet de préciser ses relations avec « Kna ». Le 13 février 1950, « Kna » devait diriger au Prinzregententheater de Munich un représentation de Tristan und Isolde à l’occasion du 67ème anniversaire de la mort de Wagner. Le ténor prévu étant tombé malade, la direction du théâtre s’est adressée à Windgassen, qui n’avait pas encore chanté Tristan, et le choix s’est porté sur les Meistersinger. Lorsqu’on lui a parlé de Windgassen, « Kna » a répondu « Singt er noch? » (Est-ce qu’il chante encore?). Quand on lui a précisé qu’il s’agissait du fils, il a répliqué: « Singt er schon? » (Est-ce qu’il chante déjà?). A la suite de cette représetation, une cantatrice qui chantait dans la distribution, a donné son nom comme un possible Parsifal à Wieland Wagner qui est venu l’écouter et l’a engagé.
Windgassen parle de Kna en ces termes: « Entre lui et moi, il y a toujours eu une relation très chaleureuse et sympathique. Il prenait régulièrement des nouvelles de mon père Fritz qu’il aimait bien. Il était contre le fait qu’en 1953, je chante Siegfried à Bayreuth. Il a dit à Wieland Wagner: « Il va y casser sa voix » (‘Der geht kaputt dran »). Plus tard, il a changé d’avis ».
Tres interessant, mais les livres de Wessling suscitent parfois des doutes. Son livre sur Toscanini a Bayreuth, par exemple. Il mentionne des infos qu’on ne peut pas verifier sans identifier ses sources, c’est pourquoi Harvey Sachs evitait de les considerer. L’autobiographie de Wolfgang Wagner laisse comprendre que Kna ne connaissait pas Wolfgang Windgassen avant 1951, alors l’info que vous donnez est precieuse.
Je viens de découvrir votre extraordinaire blog ! Que de recherche, c’est assez incroyable, merci à vous. Que penser de l’édition du même concert chez Orfeo en 2007 en provenance de la radio Bavaroise ? Le son bien que plus mince au niveau de la bande passante, a plus de dynamique et surtout plus de détails. Votre avis ?
Merci pour votre commentaire!
Orfeo a utilisé la bande de la Bayerischer Rundfunk (Radio bavaroise) qui, intrinsèquement, est meilleure que l’enregistrement fait à Stockholm à partir d’une retransmission en direct pour laquelle le son a voyagé à travers des lignes de transmission. Cependant, Orfeo a utilisé un logiciel de réduction de bruits de fond qui a pour effet de gommer les micro-informations, et en premier lieu les informations relatives à l’ambiance de salle, d’où le son plus « mince ». Le paradoxe est donc qu’avec le SACD BIS, le son a plus d’ambiance et moins de détails. Ou autrement dit, plus de naturel et en général moins de détails sur le document suédois par rapport au CD Orfeo. La meilleure édition de la bande de la radio Bavaroise est le SACD WFHC-030 édité en 2012 par « The Wilhelm Furtwängler Center of Japan ».